2020
Conseil spécialisé ruminants du 10 juillet 2020
Impact du Covid 19 sur les filières ruminants lait et viande
La crise sanitaire mondiale a perturbé les débouchés des produits carnés et laitiers français.
Le confinement en Chine s’est traduit par des difficultés à exporter vers cette destination dès le mois de février. Le ralentissement de la demande des industries agroalimentaires a également impacté les importations françaises.
Le confinement intervenu à la mi-mars a entraîné la fermeture de la restauration hors domicile pendant plusieurs mois et modifié le comportement d’achat des ménages. Si certains produits de base, comme les viandes surgelées et le lait longue conservation, ont été stockés par les ménages au début du confinement, d’autres, comme le steak haché frais, les fromages, la crème, le beurre et l’ultra-frais ont connu un essor en avril, en plein cœur du confinement avec le retour du « fait maison ». La situation a commencé à revenir à la normale en mai dernier avec le déconfinement progressif de la population. Si les ménages se sont recentrés sur l’essentiel et des produits de consommation courante pendant la parenthèse du confinement, 92 % des Français déclarent privilégier les produits d’origine France, d’après Kantar et 82 % souhaitent continuer à acheter des produits locaux après la crise, selon l’IFOP. Les préoccupations des Français pour des produits bons pour la santé, respectueux de l’environnement et assurant une juste rémunération aux producteurs se sont renforcées pendant la crise sanitaire.
- Filière lait de vache : limitation et réorientation de la production
La crainte de la perte de débouchés à l’approche du pic de collecte saisonnier a incité l’interprofession laitière à ralentir la production de lait pour limiter les excédents.
La baisse saisonnière du prix du lait à la production est plus marquée en 2020 qu’en 2019, entraînant une légère dégradation de l’indice MILC de l’Idele.
Les fabrications françaises ont été réorientées dès le mois de mars vers les produits laitiers les plus demandés par les ménages pour leur consommation à domicile (lait, ultra-frais, beurre, crème) alors que les fabrications de fromages ont marqué le pas.
Le manque d’offre en fromages et en poudre de lactosérum a pénalisé les exportations françaises.
En revanche, les prix compétitifs des poudres de lait et du beurre ont permis à la France de profiter de la reprise de la demande des pays tiers. Le repli des importations françaises de beurre et de poudres grasses et écrémées a contribué à l’amélioration du solde des échanges commerciaux.
- Filière lait de chèvre : des fabrications orientées vers la vente de fromages en libre-service
Le confinement a débuté au moment de la hausse saisonnière de la collecte, qui était déjà sur une tendance haussière depuis l’automne dernier. Avec le confinement, les fabrications de bûchettes de chèvre et les autres formats à la pièce ont fortement augmenté pour répondre à la demande des grandes et moyennes surfaces. À l’inverse, la production de fromages à découper, plutôt destinés aux industries agroalimentaires et à la restauration hors domicile, a très nettement ralenti.
Les stocks de produits de report, en hausse saisonnière, sont restés à un niveau tout juste supérieur à celui de mai 2019.
Le prix réel du lait de chèvre (toutes primes comprises et toutes qualités confondues), en hausse sur les quatre premiers mois de l’année 2020 par rapport à la même période 2019, a quasiment retrouvé le niveau de l’an dernier courant mai.
- Filière lait de brebis : progression de la fabrication d’ultra-frais
La collecte de lait de brebis a fortement ralenti avec le confinement, après un début de campagne en hausse. Les fabrications de produits ultra-frais sont en progression de près de 9 % depuis le début de la campagne alors que la fabrication de fromages est en léger repli.
- Filière viande ovine : net recul des importations grâce à la mise en avant de la production française en magasin
Le prix moyen des agneaux de boucherie, en hausse par rapport aux années précédentes jusqu’en mars 2020, a subi un fort décrochage au début du confinement, au moment du pic saisonnier des abattages pour Pâques. Les cotations se sont redressées depuis, confortées par la réouverture progressive des restaurants. La consommation globale de viande ovine par les Français, à domicile et hors domicile, est estimée en baisse de plus de 10 % sur les 4 premiers mois de l’année 2020.
Les importations d’ovins vivants et de viande bovine sont en net recul, dans un contexte de maintien de la production française en mars et avril.
La mobilisation de la filière pour obtenir la mise en avant de l’agneau français dans les grandes et moyennes surfaces a porté ses fruits. Les importations en provenance de l’Union européenne sont en repli de 16 % (- 25 % pour le Royaume-Uni et – 28 % pour l’Espagne en partie compensés par l’Irlande qui progresse de + 22 %). Les importations en provenance de Nouvelle Zélande, quatrième fournisseur de la France, sont en chute de 48 %, malgré l’effondrement des prix à la production dans ce pays en raison de la fermeture du marché chinois.
- Filière viande caprine : recul de la cotation du chevreau avec la fermeture des débouchés en restauration
Avec le confinement et la fermeture des restaurants en France mais aussi chez nos principaux clients (Espagne et Italie), la cotation du chevreau a baissé de 20 % entre Pâques 2020 et Pâques 2019 et ne s’est pas redressée depuis. L’enjeu pour la filière est désormais de valoriser les stocks de chevreaux constitués pendant le confinement et estimés à 500 tonnes.
- Filière viande bovine : recul des importations mais baisse des cotations due au déséquilibre carcasse lié à une demande axée sur le steak haché
Les importations de viande bovine ont chuté de 48 % en avril 2020 avec la fermeture de la restauration hors domicile. En revanche, la production française est restée stable par rapport à 2019. La part de viande française dans la consommation globale s’est donc accrue pendant le confinement.
Déjà faibles en début d’année, les cotations des vaches ont diminué pendant le confinement à cause du déséquilibre carcasse lié à une demande axée sur les steaks hachés. Néanmoins, à ce jour, les prix des vaches allaitantes comme laitières sont repartis à la hausse mais restent inférieurs à ceux de l’année dernière, à l’exception des Charolaises.
La viande de veau a été très impactée par la baisse de la demande dans un contexte d’offre abondante. La cotation des veaux de boucherie a chuté durablement : - 14 cts/kg pendant le confinement et – 51 cts/kg depuis le 11 mai. Les mises en place de veaux de boucherie tournant au ralenti, les petits veaux sont exportés vers l’Espagne qui représente 95 % du marché, à un rythme accru (+ 22 % sur les quatre premiers mois de l’année) et à faible prix (- 10 %).
La consommation globale des Français en viandes bovines est estimée en recul de plus 6 % sur les 4 premiers mois de 2020.
Au-delà de ces premiers constats, la crise sanitaire aura-t-elle encore un impact dans les mois à venir sur les filières ruminants ? La crainte d’une crise économique mondiale se profile, et avec elle des interrogations sur la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs qui pourrait entraîner un repli de la demande, notamment en produits haut de gamme, et donc, in fine, une baisse des cours pour les producteurs. Dans ces conditions, l’engouement déclaré pour les produits français, locaux, sains ou bio va-t-il perdurer ? Les viandes d’agneau ou de veau, délaissées pendant le confinement, retrouveront-elles leur niveau de consommation antérieur à 2020 ? Enfin, quel sera l’impact des stocks constitués sur le marché national et mondial, suite au Covid-19 ?
Bilan des mesures européennes de stockage privé mises en place face au COVID-19
Le 22 avril dernier, l’Union européenne a décidé d’activer des mesures d’aide au stockage privé pour différents produits laitiers (fromage, beurre, poudre de lait écrémé) et carnés (viande bovine, ovine et caprine), afin d’aider les filières agricoles à surmonter le recul brutal et les changements de consommation de la population européenne, suite à l’épidémie mondiale de COVID-19 et au confinement. Ces mesures sont gérées et contrôlées par FranceAgriMer concernant la France.
Concernant les produits laitiers, le dépôt des demandes a été clôturé le 30 juin 2020 en application des règlements européens correspondants.
Au 30 juin 2020, les demandes déposées en France concernent 8 838 tonnes de fromage (dont 38 % de comté AOP, 21 % de fromage à raclette, 13 % de caillé de chèvre, 10 % d’emmental, 6 % de mozzarella et 6 % de caillé blanc). Les opérateurs français ont utilisé 48 % du quota attribué à la France pour les fromages. La France fait partie des principaux pays demandeurs avec 19 % des demandes déposées dans l’Union européenne (47 711 tonnes), aux côtés de l’Italie et des Pays-Bas.
Des demandes d’aide au stockage de beurre ont également été déposées en France à raison de 7 235 tonnes, soit 11 % des demandes européennes (67 694 tonnes) qui émanent principalement des Pays-Bas, de l’Irlande et de l’Allemagne.
Aucune demande n’a été déposée en France pour l’aide au stockage privé de poudre de lait écrémé, qui concerne 20 138 tonnes au niveau européen, essentiellement localisées en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et au Portugal.
Concernant les viandes bovine, ovine et caprine, la Commission européenne a suspendu le dépôt des demandes d’aide au stockage privé depuis le 10 juillet 2020, date de publication au Journal Officiel de l’Union Européenne de deux règlements du 9 juillet 2020. La clôture définitive des dispositifs d’aide au stockage privé pour les viandes devrait intervenir le 17 juillet prochain.
En France, 350 tonnes de viande bovine ont fait l’objet d’une demande d’aide au stockage privé, soit 16 % du tonnage européen (2 215 tonnes), l’Espagne et la Pologne étant les principaux pays demandeurs.
Aucune demande n’a été déposée en viande ovine et caprine en France. Seule l’Espagne a déposé une demande pour 140 tonnes.
Pour mémoire, la période de stockage est fixée entre 60 et 180 jours pour le fromage, entre 90 et 180 jours pour le beurre et à 90 jours pour la viande bovine.
Retour d’expérience des interprofessions et d’un transformateur sur la gestion de crise
Ce conseil spécialisé a été l’occasion de partager avec les interprofessions (CNIEL et Interbev) et un transformateur (Triballat-Rians) leur retour d’expérience sur la gestion de la crise du COVID-19 et les actions mises en place.
Pour faire face à la crise, le CNIEL a adapté immédiatement son organisation interne (plan de continuité d’activité, cellule de crise…) et mis en place une stratégie collective de filière, déclinée en actions de communication interne et externe pour :
- informer les acteurs de la filière, les leaders d’opinion et les consommateurs sur la situation de la filière
- valoriser les acteurs de la filière qui ont continué de produire, chaque jour, partout en France, malgré les difficultés
- demander un accompagnement public pour limiter le pic de collecte saisonnier par une planification temporaire de la production et obtenir les aides européennes au stockage privé de fromages, beurres et poudres
- organiser la mesure de planification de la production auprès des acteurs
- enrayer la baisse de consommation de certains produits laitiers, notamment les fromages.
Gérer une crise d’une telle envergure mondiale, nécessite une complémentarité de décisions et d’actions entre les autorités communautaires, les pouvoirs publics nationaux et les interprofessions, estime le CNIEL, en soulignant la puissance du collectif qui a permis de réagir vite et à grande échelle grâce à une interprofession longue associant les acteurs du commerce, de la distribution et de la restauration.
Même constat du côté d’Interbev qui souhaite encourager les commandes de viande française par la restauration hors domicile avec le soutien des pouvoirs publics pour assouplir les règles des marchés publics. L’interprofession s’est également attachée à apporter des solutions pour assurer la continuité d’activité des opérateurs au quotidien et la fluidité du marché (commande groupée de masques avec Inaporc, gestion des modalités de tests de dépistage en abattoir…). Elle a également diffusé des notes d’information économique et réglementaire tout au long de la crise et mené différentes actions ciblées pour répondre aux difficultés propres à chaque filière (bœuf, veau, ovins, caprins).
Enfin, l’entreprise familiale Triballat-Rians qui collecte et transforme environ 50 millions de litres de lait auprès de 350 éleveurs a apporté un éclairage complémentaire sur les mesures mises en place pour réorganiser les fabrications à base de lait de chèvre et gérer les excédents générés par la chute des ventes, suite à la fermeture de la plupart des réseaux de restauration hors domicile et des marchés de plein vent qui a impacté les productions fermières. L’impact a été très variable selon les fromages AOP et leur positionnement sur les différents réseaux de commercialisation.
Outre les mesures de protection des salariés mises en place dans les ateliers de transformation et la réorganisation du travail induite par l’épidémie et le confinement avec un taux d’absentéisme de 10 à 20 % selon les sites, la crise a conduit au dégagement voire à la destruction de fromages à courte DLC (durée limite de consommation), faute de débouchés. Certaines tournées de collecte ont été réorganisées pour absorber une partie des volumes des producteurs fermiers qui ont parfois pu initier des débouchés alternatifs (drive fermier, click & collect, tournées de livraisons, magasins collectifs, référencement accéléré en grande ou moyenne surface …).
Une partie de la transformation a également été réorientée vers la fabrication de produits de report caillé congelé ou de fromages à affinage long. En dépit des efforts de modération de la collecte par les producteurs, une partie du lait a dû être écoulée à bas prix sur le marché européen pour des destinations non fromagères. Triballat-Rians s’est appuyé sur l’organisation collective de la filière (interprofession au niveau national et régional et organisations de producteurs) pour limiter l’impact de la crise, dont les effets devraient durer encore plusieurs mois avant un retour à la normale.
Pour aller plus loin, consulter ci-dessous les documents de conjoncture (présentation-diaporama et indicateurs) diffusés lors du conseil spécialisé du 10 juillet 2020.